mardi 13 décembre 2016

Grandir à l'école Arthur-Pinet - Biographie d'Israël Pitre

J'ai écrit plusieurs articles sur l'histoire de l'école jusqu'à maintenant, ainsi que sur ses directeurs et directrices. J'ai également mentionné le nom de certains de ces bâtisseurs. Un des noms qui revient fréquemment est celui d'Israël Pitre. Dans les années 1950 et 1960, cet homme a été très actif derrière la gestion de l'école.

Vous avez probablement entendu parler d'Eugène Thériault et un peu d'Arthur Pinet lui-même. Ils ont eu leur rôle à jouer dans l'histoire de l'école. Toutefois, c'est Israël Pitre qui est derrière sa construction même, bien avant que ces deux hommes n'entrent dans le portrait. Si vous ne l'avez pas connu, ce billet est pour vous! Encore une fois, si vous avez de l'information supplémentaire ou que vous remarquez certaines erreurs, n'hésitez pas à m'en faire part.




Biographie


Israël Pitre en 1983
(Source : Collection personnelle)
Israël Pitre est né le 1er avril 1928, à Eel River Crossing et décédé le 1er mai 1985, au même endroit. Il était le fils de M. Emmanuel Pitre et de Christiane Nadeau.
 
Israël Pitre était le frère de Thérèse (Maurice Boudreau de Campbellton), Maurice Pitre (Ida Drapeau de Balmoral), Dennis, Fernand (Mea Lecourt de Campbellton), Marcia Drapeau (Philippe Drapeau de Balmoral), Mary Marchand (Serge Marchand de Montréal) et Madeleine (Jacques Marchand de Montréal). Thérèse, Maurice, Marcia et Mary sont aujourd'hui décédés. Fernand vit encore et habite à Saint-Jean, tandis que Dennis est à Moncton et Madeleine à Montréal. Ils communiquent occasionnellement avec notre famille.

Pour en revenir à Israël, il fut élevé à Eel River Crossing, au centre du village, sur la rue Principale, entre le chemin de fer et la rue d'Église. La maison de sa jeunesse existe toujours et est celle en rose près de chez Mme Lina Garvie.

La jeunesse d'Israël ne fut pas facile. Il perdit son père en raison d'un cancer à l'âge de 12 ans. Il dut donc, avec ses frères, subvenir aux besoins de la famille. Toutefois, il régnait un esprit de leadership dans cette famille, qui s'en tira assez bien, malgré les circonstances.

La famille Pitre en 2004,
aux funérailles de Marcia (Pitre) Drapeau
De gauche à droite : Philippe Drapeau (d. 2007), Lise Pitre,
Germaine Pitre, Madeleine Pitre, Dennis Pitre, Carmen Pitre.
(Source : Collection personnelle)
Pour son éducation, Israël fit ses études à la petite école d'Eel River Crossing, celle qui était située au coin de la Rue de l'Anse et de la Rue Principale. Il alla ensuite faire quelques années de secondaire à l'école Dalhousie High School. Cependant, il ne termina jamais ses études.

Un de ses rêves était de devenir annonceur de radio. Cela s'inscrivait pour sa soif de savoir et son intérêt prononcé pour la chose publique. Toutefois, ses responsabilités familiales ne lui permirent pas d'aller aux études. M. Pitre opta donc, comme beaucoup d'hommes de l'époque, pour un emploi au "moulin" de Dalhousie (usine des pâtes et papiers). Il travailla à l'entretien des machines à papier. Son travail était entre autres d'huiler les machines. Il y travaillera jusqu'à la veille de sa mort.

Comme on le verra plus tard, Israël allait utiliser ses dons et ses talents pour la chose publique. En même temps, il prit épouse et devint père de famille.

Une famille accomplie




Mariage d'Israël et de Germaine, 1952
En 1952, Israël épousa Germaine Lake, fille de Thomas Lake et d'Ida (Normandeau) Lake. Née à Balmoral, elle avait déménagé à Eel River Crossing vers l'âge de 14 ans avec ses parents, ses soeurs Jacquie et Simonne. Ces dernières déménagèrent à Montréal à la fin des années 1940 pour le travail et elles vivent maintenant dans la région de Saint-Jérome, près de Montréal. Jacquie s'est mariée à un homme des Îles de la Madeleine, Frank Richard. Germaine est aussi la soeur d'Arthur Lake (marié à France Fournier de Balmoral) et de Clara Lake (mariée à John Arseneault de Balmoral). Ces deux sont décédés.

Germaine travailla pour le bureau de poste, lorsqu'elle était adolescente et ensuite pour le magasin général de Monsieur Edmond Cayouette pendant plusieurs années. C'est à ce moment que Germaine fit la connaissance d'Israël. Ce fut le grand amour. De cette union allaient naître 2 filles, Lise et Carmen.


Lise naquit en 1954. Elle travailla comme enseignante de musique jusqu'à sa retraite, à Paquetville dans la Péninsule acadienne. En 1984, elle épousa un infirmier originaire de Trudel, Ronnie Branch. Le couple n'eut pas d'enfants.

La famille Pitre en 1983, au mariage de Carmen
De gauche à droite : Carmen, Lise, Germaine, Israël
(Source : Collection personnelle)

Avec Lise et Carmen, années 1960
Carmen, quant à elle, elle vint au monde en 1957. Elle opta pour une carrière comme optométriste. Elle pratique toujours à Dalhousie. D'ailleurs, elle épousa Laurent Joncas, électricien de métier, en 1983. De cette union naquit un garçon du nom de Rémi en 1988 (notez que je suis ce garçon). Ce dernier est enseignant à Prince Albert, en Saskatchewan. Il n'a pas d'enfants.

Israël aimait beaucoup passer du temps avec sa famille. Malgré l'ampleur de ses responsabilités publiques, il trouvait toujours le temps d'être avec son épouse et ses deux filles.

La chose publique

Pompiers d'Eel River Crossing en 1958
Israël Pitre est le deuxième sur la photo à partir de la gauche.
(Source : 50e anniversaire des Pompiers d'Eel River Crossing)

Israël Pitre s'est intéressé à la chose publique dès un jeune âge. Il a d'abord rejoint la "patente" (l'Ordre de Jacques-Cartier). Cette organisation secrète formée principalement de gens impliqués dans les organismes communautaires et de certains membres du clergé visait à promouvoir un plus grand usage du français dans la chose publique. Ce n'était pas n'importe qui pouvait y adhérer. Il fallait avoir une certaine influence dans la communauté. Elle faisait le contrepoids aux organisations comme les orangistes (une organisation anglo-saxonne protestante) et même, à une époque antérieure, au Ku Klux Klan, qui avait des cellules actives au Canada dans les années 1930. La "patente" a disparu en 1965 avec la montée du souverainisme au Québec et à cause du fait qu'il n'était plus nécessaire de se cacher comme francophone pour faire de la politique.

Israël a aussi rejoint les pompiers d'Eel River Crossing, possiblement vers la fin des années 1940 ou au début des années 1950. Il a agi comme chef adjoint pendant plusieurs années, aux côtés du chef Michael Glencross. En 1959, afin d'éviter un conflit d'intérêts entre les pompiers et les autres comités dans lesquels il était impliqué, il dut abdiquer.

M. Pitre était impliqué dans les affaires paroissiales. Il était un grand ami du Père Rodolphe Doucet, qui fut curé à Eel River Crossing de 1957 à 1961-62. Il a d'ailleurs servi dans les Chevaliers de Champlain, une organisation catholique française, dont le plus proche chapitre était basé à Dalhousie. Cette organisation avait le même mandat que les Chevaliers de Colomb, mais elle était exclusivement francophone. Elle était une filiale de l'Ordre de Jacques Cartier ("la patente") et avait pour but de concurrencer les Chevaliers de Colomb, une organisation contrôlée par des Irlandais catholiques et anglophones.

Lorsque l'Ordre de Jacques Cartier fut dissout, avec sa filiale des Chevaliers de Champlain, les hommes s'inscrivirent aux Chevaliers de Colomb, qui étaient beaucoup plus ouverts aux francophones à l'époque. Or, un conseil a été inauguré pour la Paroisse Ste-Trinité d'Eel River Crossing par le Rév. Hermel Daigle en 1965. À ce moment, Israël rejoignit les rangs de cette organisation. Il y restera pour plusieurs années.

Israël fut également impliqué dans des associations économiques de la communauté. Il servit entre autres un mandat comme président de la Caisse Populaire Acadienne d'Eel River Crossing. Dans les années 1960, alors qu'Eel River Crossing avait sa propre chambre de commerce, il travailla à l'attrait de quelques commerces et industries dans le coin. C'est à l'époque qu'il essaya d'attirer une usine de produits chimiques de la compagnie CIL à Eel River au début des années 1960. Cependant, on connaît la suite de l'histoire et l'on sait que cette usine se fit construire à Dalhousie.

Somme toute, cette liste n'est pas exhaustive. Israël a certainement aidé sa communauté de différentes manières, même après les années 1960. Regardons maintenant son implication en tant que secrétaire d'école.

Secrétaire d'école

En 1954, lorsque Dennis Pitre décida de démissionner comme secrétaire de l'école d'Eel River Crossing, son frère Israël prit la relève. La tâche était très ardue, surtout qu'il allait devenir papa la même année.

Comme je l'ai déjà mentionné, il ne faut pas confondre le titre de secrétaire d'école avec la définition actuelle de secrétaire, qu'on décrit dans le jargon de l'administration publique comme "réceptionniste" ou "adjoint administratif". Le rôle du secrétaire d'école était d'administrer l'école dont il était responsable. Cela voulait dire qu'il devait s'occuper de la tenue de livres de l'école, récolter les taxes scolaires, embaucher des enseignants, faire l'administration des écoles, etc. Le secrétaire devait travailler de pair avec le surintendant, qui était en charge d'une région ou d'un district scolaire.

Parmi les dossiers sur lesquels Israël a travaillé, il y a celui de la construction de notre belle école. Je vous en parlerai dans un autre article. Il s'occupait aussi d'assurer que l'école ait un corps enseignant adéquat. Ce n'était pas facile, puisqu'avant 1967, chaque communauté était chargée d'embaucher ses enseignants selon ses propres moyens. Par conséquent, des villes riches comme Saint-Jean ou Fredericton pouvaient offrir des salaires décents à leurs enseignants, tandis que des petits hameaux peinaient à leur offrir un salaire de crève-faim. L'exemple de M. Élie LeGresley (voir article) est très révélateur en ce sens, puisqu'il a quitté l'école pour un an en 1966 pour de meilleurs gages. Il revint après la réforme.

En 1966, la réforme Chances égales pour tous du premier ministre Louis J. Robichaud allait abolir ce poste à la fin décembre. À ce moment, la construction et l'administration des écoles allait se faire à partir de Fredericton, de concours avec les districts scolaires, afin d'éviter qu'il y ait moins d'inégalités entre les régions. Rappelons qu'il était très difficile de concurrencer avec des municipalités plus riches.

La fin

Pendant les années qui suivront, Israël continua de s'impliquer dans sa communauté. Il prit cependant un peu de recul, afin de laisser la place à d'autres. Il était toutefois toujours prêt à aider.

Dans les années 1980, il travailla à monter une petite historique de notre belle école, aux côtés d'Eugène Thériault. Cela devait se passer durant l'été de 1985. Rappelons que l'école allait avoir 25 ans à cette époque.

École Arthur-Pinet
(Source : Facebook/Élie LeGresley)

Comme toutes les belles histoires ont une fin, la vie d'Israël ne fit pas exception à cette règle. Un 30 avril 1985, alors qu'il revenait du travail, Israël ressentit un malaise. Sachant qu'il s'agissait d'un symptôme d'infarctus, il se rendit à l'hôpital St-Joseph de Dalhousie. Après examen, le médecin conclut que c'était bel et bien un infarctus et que les dommages qu'il avait subis ne lui permettraient pas de survivre longtemps. Rappelons que la cardiologie contemporaine aurait probablement permis de le sauver, mais il faudra attendre quelques années avant que celle-ci se développe dans la région.

Autour de 20 h 30, peu après le coucher du Soleil du mercredi 1er mai 1985, Israël rendit l'âme. Autour de lui se trouvait sa famille. Ses dernières paroles furent pour sa plus grande fierté, sa famille. Il avait certainement marqué plusieurs personnes, en contribuant à leur offrir une éducation de très grande qualité, pour un petit village comme Eel River Crossing.

***

Au cours des années 1960, plusieurs personnalités publiques iconiques se sont fait connaître un peu partout dans notre monde. Que dire des Martin Luther King (au niveau international), des Tommy Douglas et des Lester B. Pearson (au niveau national), ainsi que des Louis J. Robichaud et des Clément Cormier (au niveau provincial). Mais qu'en est-il de ces héros locaux?

« Si vous ne pouvez faire de grandes choses, faites de petites choses de façon grandiose » - Napoleon Hill

Notre petite communauté d'Eel River Crossing regorge de ces héros locaux. Pour la plupart, des hommes et des femmes simples, mais dont les gestes frôlent le miracle. Leur dévouement et leur foi dans leurs projets leur auront permis de déplacer des montagnes. Israël Pitre en est un exemple.

Si vous êtes l'une de ces personnes qui aspirent au changement, suivez cet exemple. Faites quelques petits gestes chaque jour et votre miracle viendra. C'est dans notre sang acadien. Notre histoire le prouve.
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Mon prochain article - Sur la construction de l'école devrait paraître en janvier. Pour la période, je reviens à Eel River Crossing passer du temps avec la famille et les amis. Je vais en profiter pour consulter les archives de mon grand-père (Israël Pitre).

À lire entre-temps - Une excellente biographie d'un autre héros local, M. Eugène Thériault, écrite par M. Marcel Garvie. On peut la consulter ici via Facebook.






1 commentaire:

  1. Merci Remi, grace a vos ecrits, Eel River revoit ses valeur historique et très interessant a lire.

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